La rénovation énergétique du bâti ancien - au-delà du DPE : plaidoyer pour l’audit global 1/2

Un exemple d’étiquette de DPE (données fictives non représentatives) - C’est donc désormais sur un double critère qu’est évaluée la classe de performance du bâtiment, avec la synthèse énergétique sur la gauche, et le détail sur la droite de la classe relative aux émissions de carbone.
Un exemple d’étiquette de DPE (données fictives non représentatives) - C’est donc désormais sur un double critère qu’est évaluée la classe de performance du bâtiment, avec la synthèse énergétique sur la gauche, et le détail sur la droite de la classe relative aux émissions de carbone.

Lors de la table ronde du 6 juillet 2023 organisée au Conseil national de l’ordre des architectes sur la thématique « La place de l’architecte dans la rénovation énergétique », l’association nationale des architectes des bâtiments de France a souhaité donner la parole à des professionnels engagés pour une rénovation plus respectueuse du bâti ancien. Cet article propose une synthèse du propos de Madame Nathalie Tchang sur les outils du diagnostic énergétique, notamment le DPE, mais aussi l’audit énergétique et l’audit global.

Nathalie Tchang est présidente de la SAS Tribu Energie, bureau d’étude en fluides, énergie et environnement créé en 2002, regroupant quarante collaborateurs autour des projets de rénovation énergétique, intégrant un pôle d’analyse des économies circulaires, et avec une forte sensibilité pour le bâti ancien. Elle est par ailleurs ingénieur conseil pour la DHUP1 et membre du CSCEE2 .

Un projet de rénovation qui s’accélère

Depuis une quinzaine d’années, la restauration du bâti patrimonial intègre de manière croissante une large composante énergétique. On remarque notamment les travaux suivants :

  • En 2010, le projet « ENRABF »3 commandé par la DGALN/DHUP, et mené par Tribu Energie en lien avec Maisons paysannes de France, produit des fiches conseils visant à concilier économies d’énergie et patrimoine ;
  • En 2011, le programme BATAN4 , cherche à modéliser le comportement thermique du bâti ancien ;
  • En 2017, la norme NF EN 16883 définit « les principes directeurs pour l’amélioration de la performance énergétique des bâtiments d’intérêt patrimonial »5 ;
  • En 2021, la loi « anti-gaspillage » prévoit de construire dans une économie plus circulaire6 ;
  • En 2022, le label expérimental Effinergie Patrimoine7 ambitionne d’octroyer un label BBC à des immeubles patrimoniaux.

Ces réflexions ont conduit à adopter une méthodologie favorisant les collaborations transversales à tous niveaux et les offres de formation associées.

Avis de tempête réglementaire sur le bâti ancien

Poursuivant cette dynamique, la production règlementaire relative à la rénovation énergétique du bâti existant est aujourd’hui particulièrement riche. On peut même parler d’une avalanche de textes -impliquant à la DHUP et au CSCEE l’analyse de dizaines de formulations par mois.

Pour le bâti résidentiel :

  • Le DPE8 ;
  • Les critères de décence9 des logements ;
  • Les RT-Ex10 -notamment les textes sur l’obligation des « travaux embarqués », qui concernent le bâti patrimonial (par exemple lors de travaux de réfection d’une toiture, cette règlementation prévoit l’obligation d’isoler) ;
  • L’individualisation des frais de chauffage11  ;
  • Et depuis peu, l’obligation de calorifuger les conduites des réseaux de chaleur et de mettre en place des systèmes de régulation dans les bâtiments12  ;

Des leviers d’action pour le tertiaire

La réglementation pour l’immobilier de bureau n’est pas en reste avec :

  • Le DEET13 également appelé « décret tertiaire » visant à des économies par étapes (40%, 50% et finalement 60% d’énergie finale) à l’horizon 2050 ;
  • Associé au décret BACS14 qui détermine les moyens permettant d’atteindre ces objectifs.

L’analyse des postes de consommations sur factures doit permettre d’identifier les leviers d’action. Les simulations (STD, qui détermine les besoins, ou SED qui calcule également les consommations15 ) permettront d’identifier les travaux à réaliser et d’expliquer, le cas échéant, la nécessité d’une dérogation sur les objectifs du décret.

Rénovation performante du bâti ancien : la règle et l’exception

Pour les bâtiments à usage d’habitation, le code de la construction définit un classement (de A à G) en fonction de la performance énergétique et des émissions de gaz à effets de serre (Article L173-1-1)16  ; c’est ce classement bien connu qui est repris dans l’outil DPE notamment.

Sur ce classement, ce même code définit les critères d’une rénovation « dite performante » (Article L111-1 – 17°). Il définit, « par exception », que la rénovation soit dite performante sur des critères spécifiques, moins rigoureux, pour certains bâtiments, notamment en raisons de « contraintes techniques, architecturales ou patrimoniales » (Article L111-1 – 17bis°)17 .

Un décret précise les bâtiments concernés18 , notamment les monuments historiques classés et inscrits, mais aussi les bâtiments :

  • Situés dans les sites patrimoniaux remarquables, les abords de monuments ;
  • Labellisés architecture contemporaine remarquable (L650-1 du code du patrimoine) ;
  • Identifiés dans les documents d’urbanisme (L151-18 et 19 du code de l’urbanisme) ;

Il identifie également les bâtiments pour lesquels les travaux feraient courir un risque de pathologie, voire pour lesquels les travaux seraient trop coûteux par rapport à leur valeur vénale.

La loi prévoit donc des exceptions, alors pourquoi tout ce bruit autour du DPE ?

Le grand bazar des audits du logement

Un panel impressionnant d’outils règlementaires sert aujourd’hui à réaliser l’état des lieux du logement :

  • Le DPE, diagnostic de performance énergétique, à l’origine un élément de communication, puis finalement rendu opposable, avec des dispositifs incitatifs, et coercitifs associés ;
  • L’audit énergétique règlementaire19 , un document qui vise à informer un acheteur de logement énergivore sur l’ampleur des travaux nécessaire, mais qui n’est pas un diagnostic poussé, les diagnostiqueurs immobiliers étant pressenti pour réaliser cette prestation ;
  • L’audit énergétique, que les bureaux d’études font depuis plus de trente ans, qui va permettre de produire un document détaillé sur le comportement énergétique d’un bâtiment ;
  • L’audit global, qui correspond à l’audit énergétique couplé à une analyse architecturale et constructive du bâti ;

C’est bien l’audit global, plébiscité par les professionnels du patrimoine parce que réalisé par un binôme architecte/bureau d’étude, qui est en définitive le plus utile pour définir le bon bouquet de travaux.

Ce panel est complété de documents complémentaires pour les immeubles de bailleurs et les copropriétés :

  • Le PPT, plan pluriannuel de travaux20  ;
  • Le DTG, diagnostic technique global21  ;

Les logiciels de simulation

À la liste des audits s’ajoute celle des méthodes de calcul22 , et on oppose souvent l’imprécision des modèles statiques à la précision des modèles dynamiques.

Les modèles statiques sont très précis sur l’hypothèse d’une construction relativement standardisée et d’un usage relativement stable, conviennent à la plupart des usages résidentiels, notamment :

  • Pour l’application de la RT-Ex, le moteur de calcul du CSTB en application de la méthode Th-C-E ex, ce modèle étant aujourd’hui daté et difficile à exploiter du fait d’une relative obsolescence ;
  • Pour l’application du DPE, le moteur de calcul du CSTB en application de la méthode 3CL23 , sur laquelle nous reviendrons.

Les modèles dynamiques (STD/SED), peuvent prendre le relai pour des usages mixtes ou des caractéristiques constructives particulières, par exemple pour appréhender des phénomènes d’inertie importants. Les logiciels associés sont plus complexes et nécessitent une ingénierie plus importante (et donc un coût plus élevé), et sont de ce fait être réservé aux grosses opérations.

L’opposition entre STS et STD est en fait un faux problème car une bonne méthode de calcul ne sert à rien si les hypothèses de travail sont erronées24 . L’important est donc d’appliquer la bonne méthode dans son champ d’application. « On ne joue pas à la game boy », le logiciel ne remplace pas la matière grise des acteurs, professionnels expérimentés pour définir le bon bouquet de travaux.

DPE A ou G ? Double étiquette pour une double peine

Le DPE est donc un outil de communication à l’origine, avec son étiquette de A à G en première page, similaire à celle d’un lave-linge ou d’un réfrigérateur. L’étiquette était à l’origine purement reliée à la consommation d’énergie primaire (c’est-à-dire les énergies finales que l’on additionne les unes aux autres, avec un coefficient de 1 pour les énergies directes et de 2,3 pour l’énergie électrique). Mais, depuis 2021 et l’intégration de la SNBC, Stratégie Nationale Bas Carbone, c’est désormais une double étiquette qui intègre les émissions de carbone, c’est-à-dire la charge en carbone de l’énergie consommée (et pas de la construction elle-même).

Un exemple d’étiquette de DPE (données fictives non représentatives) - C’est donc désormais sur un double critère qu’est évaluée la classe de performance du bâtiment, avec la synthèse énergétique sur la gauche, et le détail sur la droite de la classe relative aux émissions de carbone.

C’est cet ajustement (parmi d’autres raisons) qui a conduit à la frustration de trouver certains appartements, anciennement bien classé, dans une classe aujourd’hui très défavorable :

  • Soit un bâtiment qui aura des émissions de CO2 très faibles, avec par exemple du chauffage électrique par panneau rayonnant, mais qui sont très défavorable en énergie primaire du fait du coefficient de 2,3, et qui va être en classe G de ce fait ;
  • Soit à l’inverse un bâtiment qui était en classe A, mais à chaudière gaz à 227g/KWH en équivalence CO2, et qui va chuter en étiquette C ou D avec cette nouvelle catégorie d’étiquette.

C’est le principe du « double-seuil » de performance énergétique.

Les double-seuils de performance des bâtiments

Le diagnostiqueur/prescripteur

En plus de cette étiquette, le DPE a été pensé pour être aujourd’hui le plus complet possible dans le but d’informer l’usager, avec :

  • Des estimations de coûts liés à l’énergie, dans un contexte d’inquiétudes liées au pouvoir d’achat ;
  • Des indications sur les déperditions de chaleur au travers de l’enveloppe ou la perméabilité à l’air ;
  • Une évaluation du confort d’été ;
  • Un audit des systèmes liés aux énergies renouvelables ;
  • Un détail des consommations énergétiques poste par poste ;
  • Des recommandations sur l’usage du logement, et de gestion ou d’entretien des systèmes ;
  • Et enfin, des recommandations de travaux en deux phases : les essentiels et les « à envisager ».

Le DPE fait donc basculer le métier de diagnostiqueur d’une position de diagnostic, c’est-à-dire de réalisation d’un état des lieux, comme pour l’amiante, les termites, le plomb ou la surface en loi carrez, à une position de prescripteur qui détermine un bouquet de travaux. L’idée louable d’origine, liée à la nécessité de chiffrer un bouquet de travaux dans le cadre d’un prêt immobilier, a conduit à écarter les prescripteurs historiques, architectes ou BET, du processus de rénovation.

L’audit énergétique, pour aller plus loin

L’audit énergétique25 permet de compléter le DPE en cas de vente du logement, et est progressivement rendu obligatoire26 pour les bâtiment les plus énergivores.

Sommaire d’un audit énergétique (données fictives non représentatives)

Il intègre des scénarios de rénovation plus précis, en une fois ou par étapes, ainsi qu’un repérage architectural ou patrimonial. En effet, l’article codifiant les dispositions de cet audit dispose que : « Ces propositions [de travaux] doivent être compatibles avec les servitudes prévues par le code du patrimoine et présenter un coût qui n’est pas disproportionné par rapport à la valeur du bien ». Il peut être réalisé par un diagnostiqueur certifié ou un BET.

Exemple de repérage architectural de l’audit énergétique (données fictives non représentatives)

Le couperet du critère de décence

Nous l’avons vu, le code de la construction et de l’habitation prévoit que les travaux de rénovation thermique soient compatibles avec les servitudes patrimoniales, et prévoit même un reclassement plus favorable « par exception » pour les bâtiments suivant les contraintes architecturales, patrimoniales ou techniques repérées par un homme de l’art. Bonne nouvelle pour le patrimoine, mais un autre critère rebat les cartes : le couperet du critère de décence27 .

Ce critère reprend la consommation énergétique finale (depuis le 1er janvier 2023), et reprendra demain la classe de performance (à partir de 2025) déterminée par le DPE pour qualifier un logement décent28 . Un logement non décent ne peut évidemment pas être loué.

Ce point illustre la gravité potentielle d’un manque d’analyse des diagnostiqueurs : les bâtiments ne sont « reclassés » par exception, comme le prévoit la loi, puisque leurs caractéristiques patrimoniales ne sont pas même identifiées dans le DPE. Alors, verra-t-on les centres historique se vider de leurs habitants si l’on ne met pas en œuvre les prescriptions de travaux des diagnostiqueurs ?

Pour lire la suite de l’article, cliquer ici

  1. La Direction de l’habitat, de l’urbanisme et des paysages (DHUP), l’une des deux directions de la Direction générale de l’aménagement, du logement et de la nature (DGALN) au sein du ministère de la Transition écologique et solidaire (MTES) - https://immobilier-etat.gouv.fr/pages/direction-lhabitat-lurbanisme-paysages-dhup
  2. Le Conseil supérieur de la construction et de l’efficacité énergétique (CSCEE) - https://www.ecologie.gouv.fr/conseil-superieur-construction-et-lefficacite-energetique-cscee
  3. http://www.enrabf.fr/etudes-de-cas-20-0.html, également sous https://www.rehabilitation-bati-ancien.fr/espace-documentaire/enrabf-concilier-economies-denergie-et-patrimoine
  4. BATAN : Modélisation du comportement thermique du bâtiment ancien avant 1948 - https://www.rehabilitation-bati-ancien.fr/espace-documentaire/batan-modelisation-du-comportement-thermique-du-batiment-ancien-1948
  5. https://www.boutique.afnor.org/fr-fr/norme/nf-en-16883/conservation-du-patrimoine-culturel-principes-directeurs-pour-lamelioration/fa173245/63253#AreasStoreProductsSummaryView
  6. https://www.ecologie.gouv.fr/loi-anti-gaspillage-economie-circulaire
  7. https://www.effinergie.org/web/labels/patrimoine
  8. Diagnostic de Performance Energétique (DPE) - https://www.ecologie.gouv.fr/diagnostic-performance-energetique-dpe
  9. Définition d’un logement décent - https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F2042
  10. Les exigences réglementaires thermiques pour les bâtiments existants, il existe trois RT Ex –une dite « par éléments » pour les bâtiments de moins de 1 000 m2 ; une dite globale pour les bâtiments de plus de 1 000 m2, et une dite « travaux embarqués » pour les travaux importants- https://www.ecologie.gouv.fr/exigences-reglementaires-thermiques-batiments-existants
  11. https://www.ecologie.gouv.fr/reglementation-liee-lindividualisation-des-frais-chauffage
  12. https://www.banquedesterritoires.fr/performance-energetique-le-decret-sur-la-regulation-et-le-calorifugeage-des-reseaux-de-chaleur-est
  13. Dispositif Eco Efficacité Tertiaire (DDET) - https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000038812251
  14. BACS - « Building Automation & Control Systems »
  15. SED – Simulation Thermique Dynamique et SED – Simulation Energétique Dynamique - https://cegibat.grdf.fr/dossier-techniques/simulation-thermique-dynamique
  16. Article L173-1-1 - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043966496
  17. Article L111-1 - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006074096/LEGISCTA000006158990/
  18. Décret n° 2022-510 du 8 avril 2022 – Article R.112-18 - https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000045536708
  19. Audit énergétique règlementaire - https://www.ecologie.gouv.fr/audit-energetique-reglementaire
  20. PPT – Plan Pluriannuel de travaux - https://www.demarches.interieur.gouv.fr/particuliers/copropriete-plan-pluriannuel-travaux-ppt
  21. DTG – Diagnostique technique global - https://www.demarches.interieur.gouv.fr/particuliers/diagnostic-technique-global-dtg-copropriete
  22. Pour la liste exhaustive et les textes associés, voir le site du MTES - https://rt-re-batiment.developpement-durable.gouv.fr/
  23. Arrêté du 31 mars 2021 relatif aux méthodes et procédures applicables au diagnostic de performance énergétique et aux logiciels l’établissant - https://www.legifrance.gouv.fr/download/pdf?id=doxMrRr0wbfJVvtWjfDP4rj1eH6w-xJoB6-2bmLS9gg=
  24. Voir l’article de Senova - https://coproprietes.senova.fr/conseils-techniques/quelle-simulation-thermique-audits-copropriete/
  25. LOI n° 2021-1104 du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets - https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000043956924
  26. Article L126-28-1 du Code de la construction et de l’habitation - https://www.legifrance.gouv.fr/codes/article_lc/LEGIARTI000043967365
  27. Décret n° 2021-19 du 11 janvier 2021 relatif au critère de performance énergétique dans la définition du logement décent en France métropolitaine - https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000042953125
  28. https://www.ecologie.gouv.fr/interdiction-location-et-gel-des-loyers-des-passoires-energetiques
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